Périnaïk, compagne de Jeanne d'Arc

LES SAINTS

   Si nous devons à sainte Jeanne d’Arc la libération du Royaume de France, il ne faut pas oublier la part prise par les bretons, qui vinrent se ranger sous l’étendard de la Pucelle d’Orléans. Parmi eux, le connétable Arthur de Richemont occupe une place particulière, bien digne de notre admiration et de notre fierté. En effet, alors que son frère le duc de Bretagne, Jean V le Sage, était en froid avec le roi Charles VII, et que lui-même était relégué à Parthenay en disgrâce, Arthur va charger le seigneur Pierre de Rostrenen de lui recruter une armée en Bretagne. Une troupe de 2000 hommes bien montés, fortement armés et très disciplinés, se mit ainsi en marche sous le commandement des plus grands chevaliers bretons : Guy de Laval et son frère André, les seigneurs de Beaumanoir et des Huguetières, Robert de Montauban, Tugdual de Kermoysan, etc…

   Or Charles VII, mal conseillé, craignait les trahisons qui avaient fait tant de mal au Royaume. Redoutant une rancune de Richemont, il ordonna à l’armée royale de traiter les Bretons comme des ennemis. Jeanne, qui connaissait la loyauté du Breton, se mit en route la mort dans l’âme, à la tête des troupes françaises. La rencontre se déroula à Loudun, et l’ambassadeur du Roi, le sire de la Joaille, délivra son ordre :

   - Retournez en arrière ou le roi vous combattra.

   - Ce que je fais est pour le bien de l’État, répondit le Connétable.

   Résolu à servir, il reprit la route. À Amboise, il apprit qu’il était inutile de marcher sur Orléans car les Anglais avaient été chassés de leurs bastilles et Jeanne d’Arc se trouvait maintenant à Beaugency. Aussitôt Richemont changea de route et se dirigea droit vers elle. On lui fit dire à nouveau qu’il allait être reçu comme un Anglais par l’armée de Jeanne...

   - Eh ! bien, répartit-il, s’ils viennent, on les verra.

   Et il continua sa marche en avant. Le 16 juin 1429, Jeanne le vit arriver avec cette superbe armée qui avançait en bon ordre, bannières déployées : elle en fut fortement émue et après avoir requis au Connétable le serment de fidélité au roi de France, ce qu’il fit de bonne grâce, elle lui embrassa les genoux en reconnaissance. Ainsi l’ordre du Roi, ou plutôt du Dauphin, fut transgressé pour une fidélité plus haute, due au vrai Roi de France Jésus-Christ, dont Jeanne était la digne messagère. Il est à noter que Charles VII s’accommoda le premier de cette alliance inespérée, qui allait porter des fruits magnifiques.

   Deux jours plus tard, le 18 juin sur le champ de bataille de Patay, on vit se déployer le vieux drapeau breton à la croix noire, le Kroas du, à côté des fleurs de lys de France : ce fut la plus grande victoire militaire de toute notre histoire, qui lava la tâche du désastre d’Azincourt en 1415.

   Cette histoire est assez bien connue. La suite l’est moins, et ce fut notre joie de l’avoir découverte récemment. En effet, à la suite des chevaliers bretons, quelques femmes qui avaient au cœur le même amour de la petite et de la grande patrie, laissèrent les prés et les clochers de leur chère Basse-Bretagne, pour contribuer elles aussi à relever le lys flétri par le léopard anglais !

   C’est ainsi que Périnaïk, c’est-à-dire petite Pierre en breton, laissa son petit village de Gurunhuel près de Guingamp, et suivit la grande armée bretonne en compagnie de sa servante. Elle aussi fut préparée par des visions, non de saint Michel, mais de Dieu lui-même, qui se présentait « souvent à elle en humanité, long vêtu de robe blanche, et avait au-dessous une hucque vermeille. »[1]

   Lorsqu’elle rencontra Jeanne d’Arc, les deux âmes mystiques se reconnurent immédiatement et devinrent toutes unies pour sauver le beau Royaume. Jeanne elle-même témoigna discrètement de la présence d’une femme à ses côtés, lors de son Procès : « Quant au logis et au coucher, le plus souvent j’avais une femme avec moi. Et quand j’étais en guerre, je couchais vêtue et armée, là où je ne pouvais être accompagnée de femmes. » Cette femme évoquée par Jeanne, c’est Périnaïk. C’est donc une joie de penser que la Bretonne fut la consolation et le réconfort de la Lorraine au milieu des gens d’armes.

   Après la magnifique campagne de Loire, les deux amies prirent la route de Reims pour le sacre du Dauphin Charles ; puis ce fut le siège malheureux de Paris, l’ingratitude du Roi, les mauvais conseillers… les mystères douloureux commençaient... À Noël, elles communièrent ensemble, deux fois pour Périnaïk et trois fois pour Jeanne : cela leur sera reproché pendant leurs procès.

   Quelques mois plus tard, à la fin du mois de mars 1430, Jeanne envoya Périnaïk à Paris, où le carme Jean Dallée préparait un complot pour libérer la capitale. Prise à Corbeil par les Anglais, la Bretonne fut conduite avec sa servante dans une prison près de Notre-Dame de Paris, où se trouvait le tribunal ennemi, composé d’Anglais et de traîtres, dont d’indignes ecclésiastiques, les amis de Cauchon ! Durant cinq mois, Périnaïk fut interrogée sur ses visions, sur Jeanne, sur son attachement au Roi de France… elle demeura fidèle à sa vocation, y compris en montant sur le bûcher, où elle lança à ses juges : « Avec tous vos livres de théologie, vous vous damnerez, tandis que moi avec mon credo, je vais tout droit au ciel ! » Périnïk fut ainsi martyre devant Notre-Dame de Paris, le 3 septembre 1430, comme un prélude au bûcher de Rouen, neuf mois plus tard…

   Quelques années plus tard, elle fut réhabilitée en même temps que sainte Jeanne d’Arc, par l’autorité de la reine Marie d’Anjou, l’épouse de Charles VII. Le souvenir de cette réhabilitation se voit encore aujourd’hui, sur les murs mêmes de Notre-Dame de Paris. Quatre bas-reliefs, situés près du portail dit de Saint-Etienne, furent sculptés à cette époque. Notre lecteur pourra découvrir sur le premier cartouche, le bûcher de Périnaïk, et sur un autre la présence de Marie d’Anjou. En attendant de pouvoir prier publiquement sainte Périnaïk, il sera bon à notre âme de chanter la gloire de cette vierge bretonne dont l’éclat est tout d’humilité au service de la glorieuse Pucelle.

   Alors que la Bretagne n’était pas encore la France, il est beau de voir en Périnaïk l’illustration de la vocation magnifique d’une fière Province au service du beau Royaume de France ! C’est ainsi qu’elle offrit sa vie pour Dieu, la France et Jeanne, la petite bretonne que même les Bretons ont oublié : N’est-il pas grand temps de faire connaître cette héroïne qui sacrifia sa petite patrie pour sauver la grande ?

                                                                                                                                         Arnaud Boüan

1] Journal d’un bourgeois de Paris, XVe siècle.