Faut-il canoniser Clovis ?

Le premier de nos rois fut célébré comme un saint, et le premier qui nous assure de sa sainteté est saint Remi lui-même. A l’heure même du royal trépas, le 27 novembre 511, saint Remi célébrait la messe et eut la vision de son âme montant au ciel. Il fut enterré en grande pompe dans la crypte de la basilique Saint-Pierre Saint-Paul qu’il avait bâti sur la Montagne Sainte-Geneviève à Paris. Depuis, les chanoines lui rendirent un culte qui perdura jusqu’à la Révolution: chaque année, le 27 novembre, ils descendaient dans la crypte devant la tombe du roi, y dressaient un cierge et récitaient des prières.

A la fin du Moyen-Age, on trouve plusieurs exemples de bons serviteurs du Royaume, qui vinrent trouver nos rois pour leur demander de réclamer à Rome la canonisation du Père de tous nos Rois. L’expression du « saint roi Clovis » est de Jean Savaron, magistrat de Clermont, adressant un opuscule à Louis XIII, intitulé : De la sainteté du roi Louis, dit Clovis, avec les preuves et les autorités, et un abrégé de sa vie remplie de miracles (1622).

« Sire,

« Rien ne touche si vivement le cœur des rois que la sainteté de vie et les faits héroïques des grands rois, et ce si grandement que leurs prédecesseurs ; c’est pourquoi saint Charlemagne durant le repas repaissait son esprit de la lecture de ces histoires, et saint Louis ayant pris cette habitude dès son enfance s’y nourrissait, et y faisait nourrir et élever ses enfants, pour leur servir de modèle, sur lequel il puissent composer leurs actions et manière de vivre.

« Votre Majesté, Sire, comme elle est héritière de leur couronne, magnanimité, piété, justice et débonnaireté, pour s’y confirmer davantage, se doit conformer à leur exemple, et lire les vies et histoires royales de ces grands, augustes et souverains Empereurs en leur royaume ses prédécesseurs, qui lui fourniront de quoi atteindre la perfection de sainteté, le bonheur et loyer d’une sainte vie, entre lesquels héros, saints et bienheureux rois, saint Louis dit Clovis, qui a servi de bon exemple à saint Charlemagne, et eux deux à saint Louis votre progéniteur, doit plus ardemment animer Votre Majesté à imiter ses bonnes actions, et ensuivre sa sainteté, puisqu’il a été premier Chrétien, et le premier Saint de nos rois, qui a transmis jusques à vous son illustre nom de Louis, son titre de fils aîné de l’Église Catholique, celui de Très-Chrétien, son Royaume, sa Souveraineté, sa Piété, sa Justice, sur lesquelles il a établi et affermi votre Monarchie. Enfin pour avoir vécu saintement, il a vaincu fortement ses ennemis en ce monde, et vit triomphant en l’autre.

« Pour le faire voir à l’œil de votre Majesté, j’abrègerai le progrès de sa vie et de ses victoires, pour venir aux preuves et témoignages de sa sainteté, que je rapporterai des bons et approuvés auteurs. Le Roi des rois ayant destiné saint Louis dit Clovis, voire prédestiné pour la gloire de son Nom, exaltation de son Église, et établissement de cette Monarchie, le fit croître en grâces et bénédictions à mesure qu’il croissait en années, et Basine sa mère ayant prédit que les enfants qui naîtraient d’elle et du roi Childeric seraient forts comme des Lions, sa prédiction a été accomplie en la personne de notre saint Clovis, fort comme un Lion. Le propre d’un lion est de déchirer et dévorer ceux qui entrent en défense et se commettent avec lui : le roi Clovis surmontait les altiers et téméraires qui lui faisaient tête, pardonnait aux vaincus, et à ceux qui se soumettaient à ses armes victorieuses, et à la justice de ses lois.

« Le roi Clovis couronné de lauriers pour couronner l’œuvre, après avoir étendu son empire depuis le Rhin jusques à la Seine, et de la rivière de Loire jusques à celle du Rhône, et des Pyrénées jusques à l’Océan, et essarté les villes, cités et étendues de ces pays d’infinie tyranneaux (…) qu’il fut contraint de faire mourir pour assurer sa vie, son état à lui et à ses successeurs, et le repos de ses sujets, enfin victorieux, réduit ses conquêtes en un corps de monarchie, désireux de la perpétuer. Or, comme il avait consulté l’oracle de saint Rémi lors de son baptême pour en apprendre les moyens, lequel inspiré du Saint-Esprit lui fit dès lors réponse que tant que sa foi régnerait en nos rois et en leur royaume, que les rois seraient victorieux, et l’ayant éprouvé et ressenti le fruit de la prophétie de ce saint personnage, il le consulte derechef et tire de lui cet oracle, qu’étant sa monarchie sur ces deux colonnes de piété et de justice, elle durerait à jamais, il n’a cessé durant sa vie de faire régner piété et justice (…).

« Le roi Clovis, bien instruit et libéralement institué aux bonnes lettres, était savant aux langues, éloquent et disert, animant ses soldats aux combats, répondant aux ambassadeurs sans truchement et, ayant établi sa monarchie sur la piété et la justice pour les autoriser [leur donner autorité], prit le soin des écoles, les fit fleurir et régenter durant son règne, comme vrais nourrissons de piété et de justice (…).

« Sa légende se trouve et bon nombre de bons auteurs lui attribuent ce glorieux titre de saint (…). Sa vie bénite de Dieu et remplie de miracles, leur a fait honorer ses cendres et célébrer sa fête le vingt-sixième jour du mois de Novembre, particulièrement en l’église de Sainte-Geneviève où il a voulu être enterré pour l’avoir faite édifier. Encore en cette église, sa vénération lui est rendue avec encensoirs les Dimanches et fêtes solennelles.

« Ce roi Clovis, Sire, ce saint, ces cendres, ces monuments de sa piété et de sa justice, ces louables qualités réclament la piété et la justice du roi Louis, Le Pieux et le Juste, l’héritier de son nom, de son sceptre, de sa couronne, de ses qualités éminentes, afin qu’il lui plaise de réveiller la mémoire de ses sujets, pour honorer celle de ce saint.

« En faisant célébrer la fête de saint Clovis, premier roi chrétien, voire Très-Chrétien, priant Dieu de très bon cœur, qu’il comble Sa majesté d’autant de grâces, bénédictions et enfin de béatitudes, qu’il avait fait celle de Louis saint et bienheureux. Amen, Amen, Amen. »

Quatre siècles plus tard, il nous semble grand temps d’exhumer pareil document qui manifeste l’enthousiasme de nos Pères pour « saint Louis dit Clovis »… cela dit sans présumer du jugement infaillible de la Sainte Église, mais en suivant la foi de nos Pères !

Il fallut attendre cinq siècles pour obtenir la canonisation de sainte Jeanne d’Arc. Peut-être Dieu a-t-il le dessein d’en attendre quinze pour celle de saint Clovis ?